En 2022, nous avons mené une étude portant sur "L’avenir des thérapies digitales en Europe", mettant en lumière les défis du secteur ainsi que la réglementation naissante en Allemagne. Depuis, la France s'est inspirée du modèle outre-rhin pour instaurer son propre cadre réglementaire. Ainsi, cet article vise à dresser un panorama actuel de l'environnement législatif et des acteurs intervenant dans les écosystèmes français et allemand en matière de thérapies digitales.
Thérapies digitales : de quoi parle-t-on ?
Définition
La Digital Therapeutics (DTx) Alliance propose 10 principes à respecter pour être qualifiée de “thérapie digitale” :
Positionnement des thérapies digitales dans le parcours de soins :
Les DTx sont prescrites par un professionnel de santé après une consultation ou une téléconsultation. Elles peuvent être combinées à une thérapie classique, souvent médicamenteuse, afin de l’optimiser et d’augmenter les résultats. Les DTx peuvent également remplacer un traitement médical classique. Les thérapies digitales existent sous différentes formes :
Applications mobiles facilitant le suivi du patient ;
Logiciels de réalité virtuelle ;
Jeux vidéo.
Les données de santé provenant de ces thérapies donnent différentes indications sur l’état et le comportement du patient, elles permettent ainsi :
Le suivi patient ;
La télésurveillance de la part du médecin ;
L’accompagnement à l’observance thérapeutique.
L’Allemagne : pays précurseur dans l’implémentation d’un cadre législatif pour les thérapies digitales
DiGA : un terrain d’expérimentation
Lancé en 2019, le programme allemand Digital Health Apps (DiGA), offre la possibilité aux médecins de prescrire aux patients des thérapies digitales remboursées par les Caisses d’Assurance Maladie Publiques. Pour cela, plusieurs critères doivent être respectés :
Disposer du marquage CE dispositif médical ;
Être basée sur les technologies numériques ;
Contribuer à la reconnaissance, à la surveillance, au traitement ou à l’atténuation de maladies, de blessures ou de handicaps ;
Être utilisée uniquement par le patient ou par le patient et le professionnel de santé, et non par le seul professionnel de santé ;
Atteindre son objectif médical principalement grâce à sa fonction numérique.
Le processus d'inscription au DiGA comprend deux phases :
1 - Inscription provisoire (12 mois)
Les entreprises déposent un dossier au BfArM (agence du médicament allemande), démontrant la sécurité, l'interopérabilité et la protection des données. Pendant les 12 premiers mois, l'entreprise fixe le tarif de remboursement.
2 - Examen pour l'inscription permanente Le BfArM réévalue le dossier. En cas de résultats insuffisamment documentés mais prometteurs, l'inscription provisoire peut être prolongée de 12 mois. L'intégration permanente nécessite une négociation tarifaire avec la Caisse Publique d’Assurance Maladie.
A noter qu’il existe également une prise en charge anticipée, le programme “Fast Track”, qui permet d’obtenir un remboursement seulement 3 mois après avoir présenté aux autorités de santé le dossier de candidature.
Un écosystème en croissance
Il existe un phénomène d’accélération du nombre de thérapies remboursées avec une progression annuelle d’environ 50% entre 2021 et 2023. Aujourd’hui, 22 solutions sont inscrites à titre provisoire, 27 solutions sont enregistrées de manière permanente et 6 ont été révoquées principalement en raison d’une preuve insuffisante de la valeur clinique. Au total, 49 solutions ont été inscrites au répertoire, où 3 acteurs (GAIA, Hello Better et Selfapy) détiennent plus d’un tiers des solutions du marché.
La France : un cadre législatif d’inspiration allemande
Fonctionnement du cadre législatif
Le gouvernement français a souhaité mettre en place des mesures en faveur de l'accès des patients aux dispositifs médicaux numériques à vocation thérapeutique. Ainsi, le dispositif de Prise En Charge Anticipée Numérique (PECAN) permet le remboursement temporaire et non renouvelable de solutions telles que les thérapies digitales ou les dispositifs de télésurveillance par l'Assurance Maladie pendant un an. De plus, PECAN est conditionnée à une demande d'inscription au remboursement de droit commun dans la liste des activités de télésurveillance médicale (LATM) ou la liste des produits et prestations remboursables par l’Assurance Maladie (LPPR). La demande doit être déposée dans les six mois suivant le démarrage de la prise en charge pour les DTx.
La prise en charge d’une solution, est décidée par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, après avis de la Haute Autorité de Santé (HAS), qui détermine le bénéfice clinique ou organisationnel du dispositif, et l’avis de l’Agence du Numérique en Santé (ANS), qui se prononce sur la compatibilité de la solution avec les référentiels d’interopérabilité, de sécurité, ainsi que du RGPD. Les tarifs des DTx sont également négociés individuellement avec ces acteurs.
Néanmoins, la législation reste difficile à anticiper. A la suite d’un avis de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux (Cnedimts), jugeant que la DTx Deprexis ne permettait pas d'amélioration du service attendu, la solution n’a pas été prise en charge alors qu’elle est remboursée en Allemagne et a bénéficié d'études randomisées.
Voie d’accès réglementaire afin d’obtenir un remboursement par l’Assurance Maladie
Un écosystème en développement
On compte une vingtaine de DTx en France, aucune n’a encore utilisée le dispositif PECAN :
Les défis pour une adoption plus large de ces dispositifs en France
À la différence de l'Allemagne, le marché français propose un nombre plus restreint de thérapies digitales. Pour se développer l’écosystème doit faire face à 4 grands défis :
Le coût des études cliniques : Afin de s’assurer d’un bénéfice clinique, les DTx doivent mener des études cliniques coûteuses avec plusieurs essais randomisés contrôlés, et faire face à une réglementation astreignante.
Une acculturation des professionnels de santé : La législation étant récente, les professionnels de santé ne sont pas encore formés, ni habitués à prescrire une DTx. Les industriels du secteur doivent gagner en visibilité auprès des professionnels car les bénéfices cliniques des solutions ne sont pas suffisants pour entraîner une accélération des prescriptions.
Une acculturation des patients : Les thérapies digitales représentent une nouvelle expérience pour les patients habitués aux médicaments traditionnels. Ainsi l’UI (interface utilisateur) et l’UX (expérience utilisateur) des applications doivent être intégrées dès le début dans une démarche de conception centrée sur le patient, afin d’éviter une trop forte attrition à chaque étape du parcours (téléchargement de l’application, création d’un compte…).
Un business model encore incertain pour les fabricants : Le marché des DTx reste pour le moment cantonné à l’échelle nationale. Or, les thérapies digitales sont des produits avec une faible marge et un modèle de distribution en construction. De fait, les fabricants sont encore à la recherche d’un business model profitable et scalable.
Conclusion
Le marché des DTx n’est pas encore mature et fait face à de nombreuses incertitudes. Certaines mesures ont été prises ou peuvent être prises afin de parfaire l’écosystème :
Pour prouver le bénéfice clinique, une DTx française doit mener des essais randomisés contrôlés avec des patients français mais aussi reproduire ces essais dans les pays où elle souhaite entrer sur le marché. Or, ces réglementations sont contraignantes et coûteuses pour les fabricants. De plus, alors que les DTx collectent de nombreuses données permettant de recueillir des preuves empiriques (RWE), cette méthode d’évaluation pour mesurer le bénéfice clinique n’est pas prise en compte par l’Assurance Maladie.
Dans le cadre de France 2030, la stratégie d’accélération “santé numérique” consacrera 119 M€ pour former, d’ici 5 ans, 500 000 professionnels du secteur sanitaire, social et médico-social au numérique en santé. De plus, les professionnels de santé devraient être incités à prescrire des DTx et pour cela obtenir une compensation financière.
Les DTx françaises devraient s’inspirer de l’Allemagne, en créant des partenariats avec des groupes pharmaceutiques afin de distribuer leurs solutions. Par exemple, Selfapy s’est associé à Pfizer ou encore HelloBetter avec Ratiopharm.
Le 26 octobre 2023, l'Agence Nationale de Santé a annoncé le lancement d’une task force chargée d'harmoniser les critères d'évaluation des Dispositifs Médicaux Numériques (DMN) à l'échelle de l'Union Européenne. Cette initiative, présidée par la Délégation ministérielle au Numérique en Santé (DNS) et coordonnée par EIT Health, vise à répondre aux défis actuels du marché.
Qu’espérer de cette initiative, certes prometteuse sur le papier ? Représente-t-elle une opportunité de faciliter et harmoniser la réglementation à l’échelle de l’Union européenne et in fine réduire le coût de développement des DTx ? Ou bien est-elle le spectre d’une nouvelle Medical Devices Regulation (MDR), qui a retardé l’arrivée sur le marché de nombreux produits de santé innovants, voire pire encore qui a contraint certains fabricants à renoncer à commercialiser leurs produits dans l’Union européenne du fait d’une réglementation trop contraignante et coûteuse ?
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